La Forêt vierge de Bialowieza
Patrimoine de l'Europe
Article de Dariuz J. Gwiazdowicz et Piotr Robakowski paru dans
"Forêt wallonne" n 26, printemps 1996 (courtoisie de Michel Bailly,
rédacteur en chef de "Forêt wallonne")
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La Forêt vierge de Bialowieza est un grand ensemble forestier
gardant une structure écologique primaire et constitue ainsi un
dernier fragment de la forêt naturelle de plaine en Europe.
Sa
structure particulière est maintenue grâce à la réduction des
activités humaines sur son ensemble et à l'interdiction d'une
quelconque exploitation sur les territoires du Parc national et des
réserves qui sont inclus dans la Forêt vierge.
Un événement décisif de l'histoire de La Forêt vierge fut la
création en 1932 du Parc national de Bialowieza qui amorça une
protection bien organisée des fragments les plus précieux.
Aujourd'hui, on s'interroge sur la nécessité d'un agrandissement de
la surface protégée.
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La Forêt vierge de Bialowieza est située au nord-est de la Pologne.
Bialystok est la seule grande ville dans son voisinage.
Ce massif forestier de 125 000 ha est traversée par la frontière
polono-biélorusse de sorte que 67 000 ha appartiennent à la
Biélorussie et 58 000 ha à la Pologne.
Cette forêt est située dans une zone qui connaît un climat
transitoire entre le tempéré doux et le tempéré froid. Il s'y
manifeste une grande influence du climat subboréal-continental.
C'est la région la plus froide de la Pologne. La couche de neige
couvre le sol du 24 novembre au 5 mars voire même de mi-octobre à
la fin du mois d'avril. La période de végétation dure 205 jours,
elle est de deux semaines plus courte que la période de végétation
moyenne en Pologne.
La température moyenne du mois de juillet varie de 15,2 à 21,6 C et
celle du mois de janvier de - 1,8 à - 13,4 C. La température la
plus basse observée à la surface du sol fut - 41,7 C (en janvier)
et la plus élevée 34,5 C (en août). La somme moyenne des
précipitations atmosphériques est de 642 mm. Le terrain de la Forêt
vierge de Bialowieza est plat et peu différencié. L'altitude la
plus élevée se trouve du côté de la Biélorussie (202 m
d'altitude), le terrain le plus bas est au bord de la rivière Narew
(136 m d'altitude). Les sols de ce territoire sont issus de
matériel postglaciaire et sont bien différenciés. Dans les vallées
des rivières et des ruisseaux, il y a de nombreuses cuvettes
remplies de débris organiques, surtout de tourbe. Le microclimat
forestier et la diversité des sols favorisent le développement
exubérant de la flore et de la faune.
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Les traces les plus anciennes de l'activité humaine sur le terrain
de la Forêt vierge datent du néolithique. Environ 500 tertres
funéraires montrent que ce territoire était habité par les hommes
au début du Moyen-âge. Depuis le 15 ième siècle, la Forêt vierge
est devenue un terrain de chasse pour les rois de Pologne et par ce
fait même, sa colonisation fut interdite.
Cependant la production du goudron de bois et de potasse se
développa à la fin du XVII ième siècle ce qui permit la
construction de nouveaux villages. Pendant les partages de la
Pologne, la Forêt vierge de Bialowieza appartint à la Russie et
fut fort exploitée. Sa surface diminua de 40 000 hectares et on y
on observa une réduction soudaine du nombre des bisons malgré une
interdiction de la chasse. Le dernier bison fut abattu en 1919 par
un braconnier.
L'activité de l'homme se manifestait aussi par l'installation de
ruches dans les troncs de pins sylvestres; les entrées des ruches
étaient fermées par de lourdes poutres suspendues pour empêcher
l'attaque des ours et des mustélidés. Ce fut l'unique activité
dans la zone de 4 900 ha qui constitue actuellement l'essentiel du
territoire du Parc national. Sur le reste de la superficie de la
Forêt de Bialowieza, il y eut au début du 20 ième siècle, pendant
une période de trois ans, des coupes réalisées par les Allemands
qui prélevèrent 5 000 000 m³ ; un total de 18 000 ha fut déboisé.
Durant l'entre deux guerres, pendant une période de 5 ans, 1 600
000 m³ de bois furent encore prélevés, cette fois, par une firme
anglaise. Ces deux prélèvements furent les seuls réalisés sur ce
territoire.
En 1932, le gouvernement polonais créa le Parc national de
Bialowieza et pendant toute la période de l'entre deux guerres,
les scientifiques étudièrent les possibilités de reconstitution des
populations de bisons, d'ours et de chevaux forestiers "tarpans".
En 1977, le Parc national de Bialowieza fut inclus par l'UNESCO au
réseau des réserves de la biosphère et en 1979, il fut inscrit sur
la liste du "Patrimoine de l'Humanité". Le reste de la Forêt vierge
est constitué des "Complexes forestiers à signification
particulière", qui sont des entités où l'on mène une exploitation
réduite du bois, l'objectif principal étant la protection du
caractère naturel de la forêt; c'est pourquoi, des réserves y ont
été créées.
La valeur inestimable de la nature de la Forêt vierge attire les
chercheurs et les touristes. La Forêt est aussi une source
d'inspiration pour les artistes et les écrivains.
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Les végétaux de la Forêt vierge comptent presque 3000 espèces (632
espèces sont des plantes vasculaires), ce qui constitue 30% des
espèces décrites sur le territoire de la Pologne. Dans la réserve
intégrale on connaît environ 1500 espèces de champignons (dont 500
hyménomycètes), plus de 200 espèces de mousses, presque 250 de
lichens et de nombreuses espèces de bactéries et d'algues. Il
existe 26 espèces ligneuses. Les conifères les plus répandus sont
l'épicéa commun et le pin sylvestre. Parmi les feuillus, on trouve
surtout: le charme, le chêne, l'aulne, le tremble et le bouleau.
La majorité des arbres atteint des dimensions exceptionnelles; par
exemple, le chêne: 41 m de hauteur et 2 m de diamètre (60 m³),
l'épicéa: 52 m, le pin sylvestre: 42 m, le tilleul et le frêne: 43
m. Les conifères représentent 40 % des peuplements.
17 ensembles forestiers sont décrits sur le terrain de la réserve
rigoureuse.
Dans les vallées des rivières Narewka et Hwozna on trouve deux
associations arbustives, treize associations de tourbières et de
prairies. On a également décrit quatre groupements de plantes
aquatiques en eaux courantes. La mosaïque d'associations de
plantes est une caractéristique de la forêt vierge. On rencontre le
plus souvent des peuplements de chênes, de charmes et de tilleuls
associés à l'épicéa, à l'érable, au frêne et à l'orme. Les stations
écologiques typiques d'aulnes avec les troncs constamment immergés
à leur base sont très rares en Europe. Dans la Forêt vierge de
Bialowieza, on peut les voir dans leur état naturel. Les espèces
protégées et endémiques de la flore et de la faune y sont très
nombreuses.
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La faune de la Forêt vierge de Bialowieza a beaucoup de traits
communs avec celles de l'Europe centrale et du nord-est. Le nombre
d'espèces présentes est estimé à environ 11 500, la majorité étant
des invertébrés, surtout des insectes. La disparition de
l'aurochs, du glouton, de l'ours, de la martre d'Europe et
dernièrement d'une espèce de faucon est la conséquence de la
présence de l'homme. D'autres espèces comme l'ondatra (le rat
musqué) et le chien viverrin ont quant à elles été introduites par
l'homme.
Le plus grand mammifère de la Forêt vierge de Bialowieza est le
bison européen. Jadis, cette espèce occupait toute l'Europe
jusqu'au Caucase et l'Oural. Aujourd'hui elle est devenue très
rare. Un troupeau de 250 têtes vit en liberté dans la Forêt
vierge. Ces bisons causent d'importants dégâts dans les champs et
les terrains reboisés. Il est nécessaire d'en réduire le troupeau
d'environ 40 têtes tous les ans pour préserver l'équilibre de
l'écosystème. Les chasseurs ne prélèvent que les animaux choisis
d'après les règles de sélection (les vieux et les malades). Les
autres grands mammifères les plus répandus comme le cerf, le
chevreuil, l'élan et le sanglier sont nombreux et il est facile de
les rencontrer. Par contre, les grands carnassiers tels le loup et
le lynx sont très farouches face à l'homme. Les castors font leurs
barrages sur les rivières traversant la forêt mais il faut avoir de
la chance pour les apercevoir.
L'avifaune est très riche. On ne dénombre pas moins de 277 espèces
d'oiseaux. Les oiseaux rares sont entre autres: la cigogne noire
(Ciconia nigra (L.)), la bondrée apivore (Pernis apivorus (L.)),
les aigles (p. ex. Hierraaetus pennatus (Gmel) et Aquila sp.), les
faucons (Falco sp.), le Circaëte (Circaetus gallicus (GM.)), le
loriot (Oriolus oriolus (L.)), les pics par exemple: le pic
tridactyle (Picoides tridactylus (L.)) et le pic à dos blanc
(Dryobates leucotos (BECHST.)), 7 espèces de rapaces nocturnes. 23
espèces de poissons vivent dans les rivières, en plus on y recense
7 espèces de reptiles et aussi 12 d'amphibiens.
Les invertébrés sont de loin les plus représentés, en particulier
les insectes. Hyménoptères: 3000 espèces, Coléoptères: 2000
espèces, Papillons: 1000 espèces Diptères: 800 espèces,
Hétéroptères: 600 espèces.
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La nécessité d'étendre le Parc national de Bialowieza à toute la
surface de la Forêt vierge est le sujet de discussion entre les
organisations de protection de la nature, les institutions de
l'Etat, les scientifiques polonais et aussi les organisations
scientifiques d'Europe occidentale.
Tous sont d'accord sur le fait que le Parc a joué un rôle
exceptionnel en assurant la persistance de la partie la plus
précieuse de la Forêt vierge ainsi qu'en permettant la
réintroduction d'espèces rares d'animaux, et ce dès le moment de
sa création. Pourtant, la surface protégée est relativement petite
par rapport à tout le territoire de la Forêt vierge qui possède
encore de grandes valeurs naturelles. Le Parc national existe déjà
depuis 75 ans et durant cette période, on a observé des changements
négatifs dans les peuplements avoisinants. La composition en
espèces s'y uniformise et l'âge moyen des arbres diminue. Certains
peuplements manquent de régénération naturelle. Une intervention
des forestiers y est nécessaire pour préserver les espèces. A
présent, une exploitation abusive ne menace pas la Forêt vierge.
Les dangers réels sont l'apport de polluants en provenance des
régions industrielles et le développement touristique de
Bialowieza. Le nombre de touristes augmente, en effet, tous les
ans bien que les visites soient réglementées. Un guide
professionnel accompagne chaque groupe.
Les grandes surfaces libres d'activité humaine sont indispensables
pour une conservation et un bon fonctionnement des populations
d'animaux rares. Cela concerne surtout les grands mammifères et
aussi de nombreuses espèces d'oiseaux protégés.
Les principes de la protection rigoureuse devraient être appliqués
sur l'ensemble du territoire de la Forêt vierge. L'arrêt de la
coupe des vieux arbres et l'agrandissement du Parc national en y
intégrant les peuplements encore exploités sont préconisés par les
écologues. Il n'y a, d'ailleurs, pas de conflit entre les
forestiers qui oeuvrent selon les principes de la protection de la
nature et les écologues. Le seul problème est le financement de
cette extension.
La partie exploitée garde encore un bon état naturel. Son caractère
primaire pourrait être reproduit progressivement par les
forestiers.
Bialowieza est devenu un centre scientifique réputé en Europe. Des
milliers de publications et d'articles décrivent les phénomènes de
la Forêt vierge. Le grand intérêt exprimé par les chercheurs et les
écologues contribue à une protection plus efficace de sa structure
écologique primaire et à la conservation des espèces rares qui y
vivent.
Dariuz J. Gwiazdowicz, Piotr Robakowski
Université d'agriculture de Poznan
Faculté Forestière
rue Wojska Polskiego 69, 60 -625 Poznan
Pologne
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Menaces sur la forêt (d'après une alerte de Greenpeace du 26 février 1997)
En juillet 1995, le gouvernement polonais avait déclaré un moratoire sur l'abattage d'anciens arbres dans la forêt de Bialowieza.
La forêt totale (à cheval sur la Pologne et la Biélorussie) recouvre 1 400 km2, mais seulement 46 km2 sont entièrement protéges comme parc national. Les 550 km2 restants en Pologne connaissaient une exploitation accélérée depuis 1993, en raison d'une aide de la Banque Mondiale au développement au secteur forestier.
En août 1996, le gouvernement polonais décida de doubler la surface protégée, mais 80 % restait sans protection définitive. Greenpeace appelle à maintenir la pression sur le Ministre polonais des Ressources Naturelles, Stanislaw Zelichowski, pour qu'il ne lève pas le moratoire sur l'abattage.
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