Reportage en Irlande, au pays des
LETS
On aime l'Irlande et on y reviendra. Y vivre n'y semble toutefois
pas facile; on y est peut-être fort isolés, surtout en dehors de
Dublin. De plus, la vie économique n'est pas des plus florissantes
et le chômage est très important. Ce terrain fertile explique sans
doute l'éclosion rapide des réseaux locaux d'échange de bien et de
services dans ce pays.
L'Irlande est un beau pays, rude et aride, mais où l'on découvre
des paysages fascinants et où les lacs, la mer et la terre se
marient. Bienheureux êtes-vous si vous avez mis les pieds dans le
Connemara et vous êtes laissés prendre dans le charme étrange d'une
route de plaine traversée par un troupeau de mouton le soir d'une
pleine lune.
L'Irlande compte ± 35 groupes LETS actuellement. Nous avons eu le
plaisir de visiter deux systèmes, Castletownbere et Scariff et de
rencontrer différents promoteurs du système.
Que peut-on retenir de ces rencontres, en dehors de l' enthousiasme
des membres de ces lests? Un enthousiasme qui d'ailleurs vous donne
vraiment envie d'y participer.
- Les systèmes sont apparus en Irlande suite à une
conférence tenue à Westport en 1993 et financée à partir de fonds
européens relatifs aux alternatives en matière
économique.
Etait alors intervenue une Australienne, experte au niveau des
systèmes.
Résultat: en 6 mois, 25 systèmes sont nés en Irlande.
L'autorisation administrative de mise en place de ces systèmes a
favorisé le mouvement. Aujourd'hui, d'après les témoignages
recueillis, les LETS ne rencontrent pas de difficultés avec les
Administrations fiscales et sociales.
- Des interactions existent entre les mécanismes LETS et
des entreprises d'économie sociale ou des schémas de mise au
travail financés par le gouvernement (Fás).
Le système de Castletownbere est ainsi soutenu par Fás tandis
que le système de Scariff est basé dans les locaux de la
coopérative de l'endroit.
- Castletownbere compte une centaine de membres, Scariff,
142.
Castletownbere a dû scinder le groupe devenu trop important et
créer un autre LETS à Bantry. Les unités d'échange peuvent être
utilisées indistinctement par les personnes dans les deux LETS.
Mais la scission étant récente, l'usage d'unités hors-système est
expérimentale.
A Scariff, 10 % des membres actuels sont inactifs et 60 à 70 %
perçoivent des allocations sociales. Il y a aussi des
indépendants. Les participants des groupes proviennent en général
de la classe moyenne et de la classe ouvrière.
- Les LETS ont changé le rapport des gens à l'argent.
Ce constat est partagé par toutes les personnes
rencontrées.
En effet, avec l'argent, on se demande ce que l'on peut
acheter pour telle quantité d'argent ou si l'on a assez d'argent
pour acheter telle chose. Dans un LETS, la question principale
est de savoir si une personne peut assurer le service dont j'ai
besoin. Dans une région où le taux de chômage est élevé et où
beaucoup de personnes ne peuvent valoriser et utiliser leurs
qualifications, le système LETS aide à libérer l'énergie et
donne le pouvoir de dépenser autrement.
Quant aux relations avec les commerçants, elles semblent
bonnes. Le système permet en effet de se procurer par l'échange
avec eux des biens que l'on ne pourrait acheter en raison de
leur prix élevé. C 'est le cas du fromage de chèvre.
- De nombreux avantages économiques
Par ailleurs, le système permet d'écouler les produits
destinés à la vente rapide ou à la liquidation à très vil
prix. Ainsi, à Castletownbere, des pêcheurs participent au système
et peuvent échanger des vilains morceaux de poisson non
vendables mais corrects pour l'alimentation. Il en va de même pour
la nourriture destinée aux animaux.
On se trouve donc en face d'un mécanisme fort intéressant de
recyclage et de lutte contre le gaspillage. L'effet sur
l'environnement est évident tandis que le système fournit une
dose d'autosuffisance alimentaire à ses membres. Ces avantages ne
sont pas négligeables.
On peut encore ajouter que grâce aux LETS, des activités
économiques peuvent prendre forme. Citons pour exemple celui
de cette femme qui avait produit des cartes postales
artistiques dans le système et a été approchée par un commerçant
local. De nouveaux marchés sont aussi testés de cette
manière.
- Une participation culturelle et une intégration
sociale
Les LETS permettent aux gens de participer à des activités
culturelles (théâtre, spectacles...). Grâce à l'échange,
davantage de personnes ont accès à la culture. C'est enrichissant
à la fois pour les individus et pour les organisateurs
d'événements . C'est ce qu'on appelle là-bas un "effet
renaissance".
Le système LETS est également un bon moyen de se faire
connaître, de se faire une bonne réputation. C'est d'autant
important qu'en région rurale, on n'obtient souvent un emploi
qu'en connaissant les gens. C'est là que la sphère non marchande
des biens et des services se révèle particulièrement utile.
L'aspect de construction sociale est donc essentiel. Via le
LETS, les membres acquièrent une estime de soi.
De même, la participation à un LETS est un moyen idéal
d'intégration pour ceux qui viennent s'installer dans une région.
Il faut pourtant dire que les systèmes comptent peu de membres
appartenant à la population habituelle de la région (de 5 à 10 %.
Il y a ainsi un problème d'acceptation par la population locale
traditionnelle.
- Régulation du marché
La participation à un LETS est libre. On peut donc quitter le
réseau quand on veut mais il ne semble pas avoir eu d'abus en
la matière dans les systèmes visités. Par ailleurs,
l'autorégulation semble efficace. A Scariff, aucune limite n'a
encore été proposée quant au niveau maximal d'engagement d'un
membre dans le système (mais à GORT, des limites sont
d'application). En définitive, les débiteurs du système
inquiètent moins que les créditeurs, qui ont parfois tendance à
vouloir accumuler les unités d'échange acquises.
L'accumulation des unités trouve parfois son origine dans
certaines carences en matière d'offres de biens et de
services. La mise en place d'un marché régulier est une bonne
chose pour améliorer les offres. Enfin, on nous a cité le cas d'un
participant accumulant des unités LETS afin de financer certains
travaux de construction. A Scariff, les différences de valeur
se retrouvent au niveau des compétences: on paiera 10 unités
pour les compétences de base tandis que les compétences renforcées
seront valorisées de 15 à 20 unités (1 unité LETS = 1 £).
De ce qui précède, on retiendra que les LETS se développent en
Irlande en toute légalité. Les pouvoirs publics ont compris que ce
système comporte des avantages certains dans les domaines
économiques, sociaux, environnementaux et culturels.
Reportage: Eric Watteau
© Cauris asbl
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