Article d'Emily Beauvent, professeur d'Histoire, paru dans le mensuel "Troc en stock" n 3. (courtoisie d'Alain Lemaitre de Cauris asbl)
Le troc a toujours existé. S'il a été détrôné progressivement par la monnaie, il reste pratiqué aujourd'hui aussi bien dans les sociétés peu développées que développées. Des échanges de biens réalisés lors des mariages à ceux négociés entre les gouvernements en passant par ceux que pratiquent les entreprises, le troc est encore bien vivant en cette fin de vingtième siècle.
Dans des sociétés économiquement développées et basées sur la
monnaie, le troc peut réapparaître si l'argent vient à manquer ou
si l'approvisionnement devient difficile par exemple, en cas de
guerre. Rappelons-nous les cigarettes et les bas de femme pendant
la deuxième guerre mondiale...
Sur notre vieux continent, on
voit aujourd'hui renaître le troc. Alors, le troc, une mode
actuelle? A voir...
A-t-il d'ailleurs jamais disparu? Non, car
il appartient sans doute au capital de nos réflexes de survie qui
réapparaissent instinctivement lorsque le besoin s'en fait
sentir.
En réalité, il n'a jamais cessé d'exister depuis les
temps si lointains de "notre" préhistoire. En effet, si l'on se
souvient que certaines tribus de notre planète vivent encore de la
chasse et de la cueillette, on réalise la permanence dans le temps
de cette manière d'échanger.
Dans les sociétés à économie peu
développée, il a toujours été pratiqué en ville ou dans les
campagnes, quel que soit le continent.
Depuis les années 80,
une centaine de gouvernements réalisent leurs contrats publics sur
base de troc, même s'ils s'en défendent et préfèrent le terme de
"countertrade".
En effet, ils négocient leurs matières
premières contre des compensations c'est-à-dire la construction
d'usines et la création d'emplois... Pour les pays en voie de
développement c'est un moyen de pallier leur manque de devises et,
pour les pays de l'ancien bloc soviétique, une mesure préventive
pour limiter leur endettement extérieur excessif. Le dernier
contrat de ce type date du début octobre 1995: Cuba a conclu avec
la Russie un échange de sucre contre du pétrole.
L'aspect social, aussi
Mais on se tromperait si on limitait le troc au seul usage
commercial; il peut parfois correspondre à un besoin d'affirma
tion sociale. Ainsi lors de la conclusion d'une alliance, certains
groupes sociaux ont imposé une "compensation matrimoniale" fournie
par la parenté du fiancé et qui ne peut se confondre avec la dot
fournie par la famille de la jeune femme. Cet usage fréquent en
Afrique se rencontre également dans divers continents.
Dans le mariage, deux groupes sont en présence. Si la femme, force
économique dont la fécondité est nécessaire à la continuité du
groupe, passe dans le lignage de son mari, celui-ci s'agrandit au
détriment du lignage de la femme. Il faut donc que ce dernier
obtienne une compensation.
L'échange tête pour tête est le plus simple: deux mariages auront
donc lieu en même temps.
Quand cela n'est pas possible, le futur mari peut s'installer
pendant un certain temps dans la famille de son beau-père et
travailler à son service pour compenser l'activité de la femme
qu'il prendra pour épouse.
Mais le plus souvent, on procède à une compensation matrimoniale.
Les biens matrimoniaux qui font l'objet de ce "troc" ont souvent
un caractère conventionnel, presque rituel: objets de parure,
cuivre, métrage de tissus, bétail, cauris...
Pour le transfert de ces biens de la famille de l'époux à la
famille de la femme, un lien se noue entre les deux groupes, ce
qui socialement est plus important que l'union des individus qui
en est la cause. L'époux s'assure l'acquisition, non de la femme,
mais des droits sur l'activité économique de son épouse et sur les
enfants à naître.
La compensation matrimoniale et l'échange
des biens sont une preuve d'alliance car ils matérialisent
l'union. Les transferts de biens sont souvent l'acte principal des
cérémonies de mariage et celui auquel est donné le plus de
publicité. Ils sont une promesse d'amitié entre les groupes. Ils
sont aussi une garantie. Lorsque le mariage est rompu, il faut les
rendre ou, du moins, en rendre la plus grande partie. Ceci
provoque d'interminables discussions. Il en résulte une pression
des familles sur les époux pour ne pas arriver au divorce. Le
mariage peut être dissout aux torts du mari sans que les biens
soient rendus mais la femme coupable oblige sa famille à les
rendre alors qu'ils ont souvent déjà été réutilisés pour le
mariage d'un frère...
Et l'aspect économique
Si les gouvernements pratiquent à l'échelle mondiale des échanges
non monétaires, il en est de même dans le milieu des entreprises
où s'échangent beaucoups plus qu'on ne pourrait imaginer services
et biens. Les médias sont particulièrement adeptes du troc. Ils
échangent très souvent des espaces publicitaires contre des
services ou des biens qui serviront soit de cadeaux pour les
lecteurs, soit permettront aux rédactions de mener à bien leur
travail.
On le voit, le troc est de tous temps et partout...
Avec "Troc en stock", il est aussi maintenant chez soi.
Emily Beauvent
Professeur d'histoire
© Cauris asbl