Et si tout avait commencé avec le troc?
Le troc existe depuis que l'homme est apparu sur la Terre. Il a en
effet commencé dès qu'un être suffisamment intelligent a pu
comprendre qu'il pouvait échanger un silex contre une peau de
bison sans devoir aller le chasser lui-même...
L'origine du
troc se confond avec celle de l'homme. Mais à l'ère
paléolithique, l'économie de survie des chasseurs n'a pu donner
lieu à des échanges importants.
Au néolithique, avec
l'apparition de l'agriculture et de l'élevage, les hommes ont
commencé à échanger leurs surplus sur base du troc. Le commerce a
donc précédé le métier de commerçant. Cette économie villageoise
de production va vite évoluer comme en témoignent les traces d'un
trafic se déroulant déjà sur de longues distances. Ainsi, des
pierres étaient exportées sous forme de lames brutes que les
artisans locaux finissaient de tailler. Des stocks ont été
découverts qui paraissent indiquer qu'il existait déjà une sorte de
"réseau commercial". Plusieurs exemples peuvent être cités:
l'obsidienne utilisée sur l'île de Chypre venait d'un lointain
volcan d'Anatolie (Turquie); le silex jaune de Touraine (France)
était exporté vers la Suisse; l'ambre jaune (résine fossile) des
pays baltes parvenait dans le bassin méditerranéen.
Plus tard
Le troc a toujours compensé l'absence d'une monnaie commune.
Rouliers des mers et navigateurs intrépides, les Phéniciens, dès le
VIIIème siècle avant notre ère, poussèrent très loin hors de la
Méditerranée leurs investigations. Au Vème siècle avant J.C., le
grec Hérodote dans ses "Histoires" nous explique leur technique:
"Lorsqu'ils ont débarqué leurs marchandises, ils les déposent en
rang le long de la grève, se rembarquent sur leurs vaisseaux, et
font de la fumée. Les indigènes, voyant cette fumée, se rendent au
bord de la mer, déposent de l'or qu'ils offrent en échange de la
cargaison, et s'en retournent à distance. Les Carthaginois
débarquent, examinent l'or; s'il leur paraît équivaloir à la
cargaison, ils l'enlèvent et s'en vont; s'il ne leur paraît pas
équivalent, ils remontent sur leurs vaisseaux et s'y tiennent. Les
indigènes s'approchent et ajoutent l'or à ce qu'ils avaient déposé,
jusqu'à ce qu'ils les aient satisfaits. Ni l'une ni l'autre des
parties, disent les Carthaginois, ne fraudent."
Dans les îles Cassitérides, près de la Grande Bretagne, les Phéniciens échangeaient des poteries, du sel et des ustensiles de cuivre contre les produits des mines d'étain. Cet étain des îles Cassitérides alimentait aussi les ateliers d'artisans de la Grande Grèce (Sicile et Italie méridionale). Le vase de Vix offert au Vème siècle avant J.C... par les bronziers grecs à leurs intermédiaires commerciaux celtes atteste ces réseaux commerciaux à travers l'Europe occidentale.
Au Moyen-Age
De son côté, Ibn Battuta, grand voyageur arabe du XIVème siècle,
ne manque pas de signaler les pratiques d'échange qu'il a
observées: "Les noirs utilisaient le sel dans le commerce comme
l'or ou l'argent sont utilisés ailleurs. Ils le coupent en petits
morceaux et s'en servent pour acheter ou vendre." Il faut savoir
à ce propos que les Éthiopiens acquittèrent leurs impôts en barres
de sel jusqu'en 1920!
Au XVIème siècle, lorsque les bateaux
des explorateurs européens accostaient des terres inconnues, ils
proposaient de la verroterie contre des vivres frais. Mais
d'autres instaurèrent le commerce triangulaire basé sur l'échange
scandaleusement fructueux d'esclaves noirs de Guinée contre de
vieux fusils et des perles de verre coloré...
A l'époque des Colons
Dans un texte très significatif de 1874 qui souligne le rôle du troc dans la grande aventure de l'exploration du continent africain, le lieutenant Cameron nous raconte comment il dut s'y prendre pour se procurer une barque. "L'homme de Saïd voulait être payé en ivoire et je n'en avais pas. On vint me dire que Ibn Selib avait de l'ivoire et qu'il désirait de l'étoffe; malheureusement je n'avais pas plus de l'un que de l'autre, cela ne m'avançait pas beaucoup. Mais Ibn Guerib qui avait de l'étoffe manquait de fil métallique dont j'étais largement pourvu. Je donnai donc à celui-ci le montant de la somme en fil de cuivre; il me paya en étoffe que je passai à Ibn Selib; celui-ci en donna l'équivalent en ivoire à l'agent de Saïd... et j'eus la barque!"
Le troc des "monnaies" utiles
Le troc jalonne notre histoire proche et lointaine. S'il a
longtemps été le seul moyen d'échanges entre les gens et entre
les peuples, le troc s'est progressivement affiné en prenant
objets ou animaux comme pièces d'échanges.Le troc jalonne notre
histoire proche et lointaine. S'il a longtemps été le seul moyen
d'échanges entre les gens et entre les peuples, le troc s'est
progressivement affiné en prenant objets ou animaux comme pièces
d'échanges.
Plus haut, nous avons vu que le troc existe depuis
que l'homme est apparu sur la terre. Ce mode d'échange a en effet
commencé dès qu'un être suffisamment intelligent a pu comprendre
qu'il pouvait échanger un silex contre une peau de bison sans
devoir aller chasser ce dernier lui-même...
Echanges
d'objets, de récoltes, d'outils, de denrées et même d'esclaves
ont traversé l'histoire et les continents. Mais pour améliorer et
faciliter le troc, l'homme a rapidement utilisé des objets ou des
animaux reconnus par tous comme pièces d'échange: c'est la
"monnaie primitive". Ces objets sont acceptés comme paiement soit
parce que leur utilité leur donne de la valeur soit parce que
leur rareté provoque la convoitise.
Dans l'Antiquité, la
"monnaie utile" fut surtout de la nourriture conservable (riz, thé,
céréales) ou des moyens de travail (bétail, outils).
Aux
premiers temps du monde antique grec ou romain, on échangeait des
boeufs à la fois comme nourriture et comme force de travail. C'est
ainsi qu'à Rome, les premiers lingots de bronze (aes rude) furent
coulés dans un moule où figuraient la forme d'un boeuf ou d'un
cochon. Signalons ici que nous utilisons toujours le mot pécuniaire
qui nous vient du mot latin pecus, le bétail... et en hébreu,
keseph , désignant la monnaie mais aussi le mouton. De nos jours,
en Afrique orientale et en Nouvelle-Guinée, on utilise encore
fréquemment du bétail en paiement.
La première véritable
monnaie d'échange fut en fait le cauris, petit coquillage qui
prospère dans les eaux profondes de l'Océan indien sous les
Tropiques.
Déjà utilisés en Chine comme "argent" il y a 3.000
ans, les cauris ont ensuite été appelés à jouer le même rôle en
Inde et en Thaïlande, en Afrique occidentale et orientale. De forme
et de taille relativement régulières, ils sont simples à
compter.
Rites et offrandes
Divers objets parfois désignés par le terme de "monnaie
primitive" répondent à des buts rituels comme offrandes à une
divinité ou à un besoin de prestige social. Ils ne sont pas
toujours destinés aux achats quotidiens, nécessairement
limités.
Ainsi, les pennies Kissi ont joué un rôle mixte fort
intéressant. On les trouve au Liberia, en Afrique occidentale, où
ils ont continué à être utilisés par les tribus noires jusqu'en
1930 environ, longtemps donc après l'introduction dans le pays de
la monnaie moderne. Ces pennies ont la forme de longues tiges de
fer aplaties à une extrémité. Une forme probablement dérivée d'un
outil antérieurement en usage. Les pennies Kissi étaient toujours
acceptés, étant donné l'utilité du métal pour fabriquer armes et
outils. Ils servaient également pour les échanges traditionnels
lors des mariages.
De manière comparable, on trouvait au Soudan
des objets de métal en forme de houe ou bêche triangulaire,
ressemblant exactement à un as de pique. Ils étaient également
largement acceptés comme mode de paiement surtout pour les
mariages, même s'ils étaient trop légers et fragiles pour servir
d'outils.
Il est intéressant d'observer à ce propos que la
forme choisie par les Chinois pour réaliser leur première monnaie
au Vème siècle avant JC étaient aussi celle de petits couteaux ou
de petites houes. La civilisation swahilie, métissage d'Arabie et
d'Afrique, a pratiqué le commerce avec l'extrême Orient et la Chine
bien avant l'arrivée des Européens dans l'océan Indien. Les
céladons (porcelaine chinoise) vert jade de la lointaine Cathay
ornent encore aujourd'hui les ruines des mosquées de terre crue des
vieux ports de Kilwa ou de Lamu (côte septentrionale du Kenya).
Ils y furent échangés contre les écailles de tortue, les cornes
de rhinocéros et l'ivoire...
Enfin, le métal argent ou or a été
longtemps pesé pour les échanges, parfois sous forme de lingot.
En Mésopotamie, vers l'an 2000 av. JC, il existait des listes de
prix officiels indiquant les quantités de denrées correspondant à
certains poids d'argent.
Pour éviter le pesage et les
inconvénients du troc, c'est dans le royaume de Lydie où régnera
le roi Crésus et où coule le fleuve Pactole (en Turquie actuelle)
qu'on inventa à la fin du VIIème siècle av. JC les premières
pièces de monnaie... mais ça c'est une autre histoire!
Emily Beauvent
© Cauris asbl